Idéaux perdus / Il est socialiste de rêver
pire que les souvenirs perdus, les idéaux perdus
avoir eu une idée, un rêve, une envie d’autre chose,
puis l’échec
puis l’oubli
les phalanstères devenus musées
les Communes devenues caves de Sacré-Coeur
les conseils devenus murs devenus ruines
les victoires devenues camps devenus honte
tout change et se perd tout meurt et se rêve
tout se meurt et se perd tout rêve change et se meurt
Fourier rêvait de communautés libres et égaux, de vies partagées dans un amour commun et mutuel, d’une utopie revue socialiste, il eut une police
Marx rêvait de liberté et d’égalité, d’usines aux ouvriers, de production gérée par les producteurs, d’amour et de paix, il eut une police
il est socialiste de rêver, et le rêve au jour s’éteint. Il disparaît et revient les yeux fermés, c’est là qu’on le voit le mieux, les yeux fermés.
les capitalistes ne rêvent pas, ils ont tout, ils sont dans leur rêve. dans l’inégalité, dans l’ordre et le pouvoir, le faux mérite qu’ils disent être leur raison d’être. pourquoi s’embêter à rêver quand on peut garder les yeux ouverts. ils ne dorment pas, ils imaginent comment être heureux dans leur rêve vécu. et chaque journée se passe comme une montre molle car le rêve s’étend et enlace ceux qui le prennent pour tel
le rêve est socialiste car il imagine un monde meilleur que celui des yeux ouverts.
si noir que soit la nuit la lumière jamais ne faiblit, et il ne suffit que d’une petite braise pour remettre le feu à la plaine
il faut perdre pour rêver, et il faut rêver pour perdre
la déception ne se vit que lorsque l’on a touché l’espoir, c’est la preuve que l’on y a cru, la preuve qu’on a eu le rêve au corps yeux ouverts, et que nos pupilles ont été dilatées
être déçu est la marque du rêve, il faut être déçu, car il faut rêver
vivre sans rêver c’est errer dans le temps, c’est nourrir un corps seulement car on ne veut pas la douleur de la faim
mais qui a faim rêve de manger
qui a soif rêve de boire
qui a froid rêve d’un toit
qui a mal rêve de bien
et le rêve est toujours grand, car le peu est géant face au rien
on rêve de banquets, on rêve de cascades, on rêve de feux de joie, on rêve de bonheur éternel
on rêve de tout, rêver de rien c’est ne pas vouloir vivre
le capitaliste vit-il alors ? il travaille en tout cas
vivre c’est travailler ou travailler c’est vivre ? pour lui, c’est la même chose, la même idée
vivre sans travailler c’est le sang sans globules, impensable
le sang corrompu, le sang sali, le sang malade, le sang qui coule, le sang qui cicatrise : il reste globulé
le sang, c’est ses globules, les globules, c’est le sang
le travail ingrat, le travail dur, le travail injuste, le travail dangereux, le travail qui paye mal, le travail qui rend libre : il reste vital
le travail, c’est la vie, la vie, c’est le travail
c’est comme ça qu’il pense le sans-rêve
c’est quoi le travail ? la vie
point
rien de plus
c’est la vie
voilà
bêtement
pourquoi chercher plus loin
les rêveurs ont parlé du travail, ont tout décortiqué
rêver c’est comprendre, c’est analyser, c’est décrire
décrire ce qui ne se comprend pas, comprendre ce qui ne se décrit pas
voir des murs fondre et savoir qu’ils fondent
voir un arrière-plan flou et y voir ce qu’il doit y avoir
voir l’idée et et y déceler ce qu’elle est vraiment, ses atomes et sa raison
les rêveur ont parlé du travail, ont tout décortiqué
le travail, c’est la force du travailleur qui produit
le travail, c’est le noeud social de rapport de production
le travail, c’est le capital qui suce le sang du travailleur
le travail, c’est la hiérarchie qui impose
le travail, c’est l’autodétermination
le travail, c’est la liberté
le travail, c’est l’aliénation
le travail, c’est plus que la toute bête vie
il n’y aurait plus d’espoir car plus de collectif
plus d’espoir car plus d’ensemble
ou alors vidé de son sens
mais si l’espoir est parti c’est car nous sommes partis
on ne peut pas aller à l’horizon la tête baissée et l’échine cassée, il faut le voir au loin droit devant soi
nous sommes le collectif car nous sommes l’espoir
chaque personne est un bout de rêve
